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Commentaires sur la parasha Vayeshev

Commentaires sur la parasha Vayeshev

Joseph vendu par ses frères

Hityashvout (implantation)

Notre section hebdomadaire s’ouvre avec le premier verset du chapitre 37 : "Jacob s’implanta dans le pays des pérégrinations de ses pères, dans le pays de Canaan".

Cette volonté est confirmée par la deuxième partie du verset, où il est écrit : "beéretz mégouré aviv", dans le pays des pérégrinations de ses pères. L’installation, qui se veut définitive, de Jacob se fait donc dans le pays où Abraham et Isaac ont séjourné. Mais le mot employé, "mégouré" n’est pas innocent. Il se relie au verbe "lagour", qui désigne le fait d’habiter provisoirement quelque part, d’être comme un étranger ("guer", mot de la même racine). Le verset oppose donc clairement la situation des deux patriarches, qui, en exil sur leur propre terre, ne vivent encore qu’au stade de la promesse divine, non encore réalisé, tandis que Jacob, devenu Israël, désire assister à la réalisation de cette promesse.

Mais la fin du verset vient nous montrer que ce désir de Jacob n’est pas réalisable : "bééretz Canaan", sur la terre de Canaan. Malgré la volonté de Jacob, la terre reste une terre étrangère, celle des sept peuples cananéens. Du point de vue du sens premier, la Torah n’avait aucune raison de nous préciser que la terre de pérégrination des patriarches est la même que la terre de Canaan. Comme si nous ne le savions pas ! La répétition de la définition de l’endroit où Jacob s’installe est donc là pour nous rappeler que quelque chose ne fonctionne pas. De fait, nous savons que Jacob ne va pas trouver le repos qu’il escomptait, et qu’il va être obligé de repartir en exil, de rejoindre sa famille en Egypte. Le temps de la promesse n’est donc pas encore arrivé !

La question qui se pose à nous est bien sûr celle du pourquoi. Pourquoi Jacob ne réussit-il pas dans cette entreprise de transformer son arrivée en Canaan en avenir pour la terre du peuple d’Israël ? La première hypothèse est simple : les choses ne se font pas car elles ne sont pas (encore) possibles. C’est peut-être ce que veux nous dire Onkelos lorsque dans sa traduction araméenne il transforme "erets mégouré aviv" en "eretz mochavé aviv" : employant ainsi la même racine pour les actes de Jacob et le souvenir de ceux de ses pères, il semble dire : Jacob pensait faire quelque chose d’autre, mais il ne fait que répéter les actes d’Abraham et Isaac. Il n’est pas donné à Jacob-Israël d’être celui par lequel l’installation définitive sur la terre s’accomplit.

Un autre regard consiste à attribuer aux enfants de Jacob la responsabilité de l’échec : leurs conflits, leur mésentente et leurs défauts (la médisance de Joseph et l’avarice de Judah) amènent à l’échec du projet, comme le propose par exemple le Shlah hakadoch dans une magnifique interprétation reliant la scène du Yabok (Genèse 32, 23 et suivants) à une vision symbolique du miracle de Hannoukka.

Une troisième hypothèse est possible, et il s’agirait en l’occurrence d’un problème chez Jacob lui-même. En effet, dès le troisième verset de ce début de Vayeshev, nous trouvons une affirmation bizarre, voire choquante : "Et Israël aimait Joseph plus que tous ses fils car il était le fils de sa vieillesse, et il lui avait fait une tunique bariolée". Comment un père peut-il clairement préférer l’un de ses enfants au détriment des autres ? N’est-ce pas l’inverse de l’attitude d’Abraham, refusant de discerner entre Isaac et Ismaël, ou de celle d’Isaac, continuant malgré tout à aimer Esaü. De façon presque ironique, la Torah désigne Jacob par le nom d’Israël, alors que le fait de favoriser l’un de ses enfants l’empêche de s’accomplir en tant qu’Israël, qui doit être capable d’aimer tous les "enfants d’Israël" dans leur diversité.

Si cette dernière hypothèse est exacte, on comprend mieux ce qui nuit à l’implantation d’Israël sur sa terre : non pas la volonté pionnière, qui existe, mais l’amour de l’autre dans sa différence qui se doit d’en être l’indispensable complément.

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

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Rêve d’Election

« Voici les engendrements de Jacob : Joseph » (Genèse 37,2).

Comme si Joseph était le seul fils de Jacob et pouvait à lui seul représenter tous ses engendrements…

Joseph se croit donc tout de suite arrivé, élu, promis à la plus grande destinée, et c’est ainsi que la phrase continue : « Joseph avait dix-sept ans (et était le plus jeune parmi ses frères, à l’exception de Benjamin) et il faisait paître ses frères avec le troupeau… » (Genèse 37,2).

Humour biblique qui nous donne à entendre sans détour qu’il se prenait déjà pour leur berger, celui qui pouvait les diriger et dire ce qu’ils devaient faire - comment ils devaient conduire leur vie pour la réussir.

La « faute » de Jacob, c’est de n’avoir jamais aimé qu’une seule femme, Rachel, et donc aussi son fils, Joseph (l’autre, Benjamin, sans doute moins, car sa mère est morte en lui donnant naissance…).

Mais la faute de Joseph, c’est à partir de là de s’être cru tout de suite arrivé et d’en profiter pour renvoyer ses frères à leurs tâches serviles en les méprisant…

Cela ressort de ses rêves : les deux premiers rêves qu’il fait, Joseph ne les interprète pas. Ils sont à ses yeux tout de suite évidents, ils ne lui apprennent rien : ils ne font que confirmer ce qu’il savait déjà, sa primauté indiscutable, son excellence cosmique. D’où la haine de ses frères qui subissent de plein fouet cette présomption d’adolescent narcissique qui ne leur laisse plus de place, sinon celle de l’esclavage et de la prosternation.

Mais le contraste est frappant avec la fin de notre parachah : là, non seulement Joseph le magnifique est devenu lui-même esclave, mais lorsqu’on lui présente des rêves, il n’est plus dupe, il ne les prend plus pour de l’argent comptant : il se met tout de suite à les interpréter.

Joseph a donc appris quelque chose de toute cette histoire : les rêves ne portent pas leur propre évidence en eux, ils ne sont que des signes qui nous font signe pour que nous les interprétions, et que ce faisant, nous rouvrions l’histoire à ses exigences et à ses possibles.

C’est une leçon qu’il ne nous faut jamais oublier : Israël se rêve élu, et il a raison, mais il ne doit pas oublier que ce n’est qu’un rêve, et que comme tel il exige interprétation, investissement, travail et élaboration. Sinon il n’aboutira à rien – ou tout simplement à une violence sans lendemain, comme Joseph mis par deux fois au fond d’un puits dans notre parachah, et puis carrément oublié.

S’autoproclamer le centre de l’histoire, sans se rendre compte qu’il s’agit plus d’une exigence de responsabilité que d’un fait, c’est attirer sur soi les foudres de l’incompréhension et de la violence.

L’élection n’est pas une faveur : c’est un surcroît de responsabilité qui nous oblige à un surcroît de vigilance et au dur labeur de l’interprétation qui seul peut nous permettre de réussir nos relations avec nos frères humains...

Yedidiah Robberechts

Judah et Tamar

Dans le cycle de Joseph et de ses frères qui débute avec notre parachah et se terminera avec la Genèse, un chapitre semble couper le récit : le chapitre 38 qui nous raconte l’épisode scabreux entre Judah et Tamar.

Que se passe-t-il ? Le verset nous dit : « Il arriva à ce moment-là que Judah descendit de ses frères » (Genèse 38,1). Pourquoi cette descente de Judah, qui semble quitter ses frères – ou peut-être la fraternité – et sortir de sa famille et de son projet ? Au chapitre précédent, Judah avait pourtant essayé de sauver Joseph de la main de ses frères en proposant de le vendre plutôt que de le tuer. Peine perdue : ce ne sont pas les frères qui le vendront, car à leur insu, alors que les frères mangeaient, des Midianim s’empareront de Joseph et le vendront aux Ichmaëlites, qui le vendront aux Medanites, qui le vendront à Potiphar, en Egypte (Genèse 37,28 et 36). Comme si une constellation de fils d’Abraham (ce que sont les Midianim, les Ichmaëlites et les Medanim – voir Genèse 25,2) cherchait à s’emparer du projet d’Israël – Joseph – pour le vendre aux nations… Les frères ne sont donc pas directement responsables de cette vente, mais découvrent la disparition de Joseph par la suite, et ne savent plus quoi faire. Ils décident alors de tremper la tunique de Joseph dans le sang d’un bouc, pour faire croire à leur père Jacob que Joseph a été mangé par une bête sauvage. Ce qu’apprenant, Jacob tombe dans un deuil terrible, et lorsque ses enfants cherchent à le consoler, le texte dit : « Il refusa d’être consolé et dit : « Je descendrai dans le deuil vers mon fils au Cheol » (Genèse 37,35).

Cette descente annoncée du père dans un désespoir sans fin est peut-être ce qui pousse Judah à descendre à son tour de ses propres frères avec qui il a provoqué un tel deuil, vers son propre désespoir. Car il a lui-même trempé dans cette mascarade et ce stratagème de la tunique avec ses frères, et a provoqué ainsi la meurtrissure de son père. Et le texte continue : dans sa descente – dans sa recherche de quitter cette fraternité tâchée d’opprobre et dans son désespoir par rapport à elle -, il se marie avec une cananéenne, dont il a trois fils. Il rompt ainsi la tradition familiale qui avait évité les mariages avec les cananéennes (avec Isaac et avec Jacob), pour ouvrir une autre histoire. Mais celle-ci tourne mal : son premier fils, qui a grandi, se marie avec une certaine Tamar et il meurt ! Suivant la coutume du lévirat, son deuxième fils se marie à son tour avec Tamar, et il meurt aussi ! Voilà la descente de Judah disloquée dans la mort de sa descendance. Et Judah prend peur : selon le lévirat, il devrait donner son troisième fils en mariage à Tamar. Mais il pense que tout cela est de la faute de Tamar – toujours la femme !- et que son troisième fils va également mourir s’il se marie avec elle. Il invente alors à nouveau un stratagème et une mascarade en déclarant à Tamar que son fils est trop jeune pour se marier, et qu’il la rappellera lorsque le moment sera venu. Tamar retourne dans sa famille. Mais le temps passe, et Judah ne la rappelle pas, même pas lorsque sa propre épouse vient à mourir.

Tamar comprend alors qu’elle est devenue le jouet de son beau-père, et se met à son tour à user d’une mascarade et d’un stratagème pour démasquer Judah. Elle se déguise en prostituée – elle se voile – et se place à un endroit où doit passer Judah. Celui-ci ne fait ni une ni deux, et couche avec elle, en lui laissant des gages sans la reconnaître, puisqu’elle est voilée… Trois mois plus tard, on apprend à Judah que sa bru s’est prostituée, et qu’elle est enceinte. Son jugement est alors sans appel : qu’elle soit brûlée, puisqu’elle était promise à son fils et donc juridiquement mariée avec lui…

Peut-on arriver plus bas ? Judah se faisant se cache complètement à lui-même et se gâche lui-même, puisqu’il va ainsi détruire sa propre descendance à travers Tamar ! Il va tout perdre, et se perdre lui-même en tuant ses propre fils ! Ne cherche-t-il pas ainsi quelque part à se punir du fils qu’il a fait perdre à son père – Joseph –, mais par là-même à se perdre lui-même ?

Heureusement pour nous et pour lui, tout va rebondir grâce à la grandeur d’âme de Tamar. Celle-ci va en effet soumettre Judah à la même épreuve à laquelle les frères – donc Judah – avaient soumis Jacob, leur père. Mais cette fois, Judah va relever l’épreuve et retrouver l’espoir et la dynamique de la vie. Les frères avaient dit à leur père : « Reconnais s’il-te-plaît si c’est la tunique de ton fils ou non » (Genèse 37,32). Jacob va reconnaître et s’enfoncer dans le désespoir. Tamar, plutôt que de clamer son innocence et d’accuser Judah en public, va lui envoyer ses gages, et lui dire : « Reconnais s’il-te-plaît à qui sont ces gages » (Genèse 38,25). Elle ne cherche pas à confondre Judah : elle cherche à l’éveiller à sa propre responsabilité et à enlever lui-même le voile de ses mascarades et de ses stratagèmes, pour prendre sa responsabilité de père et donc d’engendreur d’histoire. S’il ne se reconnaît pas en la reconnaissant, elle meurt avec l’avenir qu’elle porte en elle, car que vaut un avenir sans père et sans reconnaissance de la mère ? Et cette fois, Judah va reconnaître et sortir de son désespoir, grâce à Tamar : « Judah reconnut et dit : « Elle est plus juste que moi » (Genèse 38,26).

C’est le tournant de la vie de Judah – et à travers lui de son père Jacob et de la famille d’Israël dans son entier. C’est en reconnaissant que cette femme est plus juste que lui qu’il fait tomber le voile qui était tombé sur sa propre vie avec la disparition de Joseph et la mascarade de la tunique. Désormais, il redevient père. Et ce qu’il engendre grâce à Tamar et qui était en gestation en elle et demandait reconnaissance, ce sont des jumeaux, Perets et Zerah, dont l’un sera l’ancêtre de David, et donc du messie ! C’est rien moins que la messianité d’Israël qui s’avère être ainsi à l’œuvre en catimini dans cette histoire tortueuse où l’homme semble se fuir et se perdre, pour finalement se retrouver et émerger à sa véritable stature – grâce à une femme… Et lorsqu’il lui faudra affronter Joseph plus tard, il aura désormais la force de reconnaître sa responsabilité face à Joseph qui voulait s’emparer de Benjamin, et ainsi de le pousser dans ses retranchements pour que lui aussi se dévoile à ses frères et se fasse reconnaître d’eux. Joseph pourra dès lors retrouver son père et le faie sortir de son deuil et de son désespoir. La réconciliation entre frères et l’avenir du projet d’Israël seront ainsi relancés par le courage de celui qui est capable de reconnaître ses fautes – et le désespoir qui les a portées - et de les amender en les transformant en germes d’avenir, à travers une femme qui est plus juste que lui.

Yedidiah Robberechts

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